Identification et description | |
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Nom du parc | Parc du château de Regnière-Ecluse |
Commune | Regnière-Ecluse |
Département | Somme |
Région | Hauts-de-France |
Type de propriétaire | Propriétaire privé |
Coordonnées | 80120, Regnière-Ecluse |
Localisation | Latitude : 50.2922455874375 |
Longitude : 1.7072582244873 | |
Source | Inventaire des Parcs et Jardins – Comité des Parcs et Jardins de France – mai 2007 |
Lorsque le jeune Herman, comte d’Hinnisdal (1808-1877), prend pleinement possession
des lieux en 1831, héritant de son père mort prématurément en 1814, le domaine de
Regnière-Ecluse (Somme, canton de Rue) présentait un état d’abandon assez peu engageant.
Le vieux manoir construit vers 1575 par François de Soyecourt, qui consistait en un
bâtiment rectangulaire jouxtant un pavillon à étage communément appelé le « donjon »,
s’avérait tout juste suffisant à loger le régisseur et le personnel ; en outre, l’allure
austère et la vétusté des constructions étaient étrangères à toute idée d’agrément
et de confort.
Héritage familial remontant à plus de huit siècles, Regnière-Ecluse fut d’abord une
des possessions de la famille Tyrel de Poix avant 1030, puis des Soissons-Moreuil
et des Soyecourt à partir de 1424, passant aux Hinnisdal peu après la Révolution.
Cette propriété a toujours su tirer partie de l’abondant massif forestier situé au-delà
de la vallée de la Maye, formant le prolongement naturel par le nord-ouest de la forêt
royale puis domaniale de Crécy.
A la fin du XVIIIe siècle, on comptait 1800 journaux de bois dont une bonne moitié constitue les 915
hectares du domaine quand Herman d’Hinnisdal prend les affaires en mains. Dès 1832,
il met en application ses projets et trouve là l’occasion d’exprimer son légitimisme
fervent par une exaltation des plus hautes valeurs de l’aristocratie. Déjà, sa passion
pour les armes et la chasse à courre l’avait engagé à monter un équipage dont il confia
la direction à La Feuille, dit Verjus, ancien piqueux du duc de Bourbon à Chantilly.
Au plaisir de la cynégétique, il ajoute celui des chevaux de course (race anglaise)
et devient l’un des premiers membres du Jockey Club en 1834. Habitué à la vie mondaine
liée à sa condition à Paris, Herman d’Hinnisdal vient se retirer à la belle saison
et jusqu’à la Noël dans son domaine de Regnière-Ecluse dont il souhaite faire un lieu
de prédilection, idée qui se voit renforcée par la perspective d’un premier mariage.
Ainsi, il fait appel à son architecte parisien Dussillion qui, en 1838 et 1839, transforme
le vieux manoir en une jolie demeure de style gothique troubadour, où les décors de
feuillages et d’arcatures très soignés sont d’une grande légèreté. Les murs et les
tourelles sont rehaussés, les parois doublés en pierre de Pont-Rémy, les toitures
refaites en ardoises d’Anjou, et l’intérieur est décoré par des artisans parisiens,
parmi lesquels le menuisier Moisy, l’ébéniste Grohé et les sculpteurs Dubois et Liénard.
Les travaux sont tout juste achevés au moment du mariage d’Herman, en juillet 1839,
avec Marie de Bryas, qui sera la mère de deux enfants, Henri et Marie-Thérèse. Entre
temps, le comte d’Hinnisdal, en parfait anglomane, envisage aussi l’aménagement autour
de la maison d’un vaste et remarquable parc paysager selon les principes des architectes
Kent et Brown.
Un premier jardin anglais, agencé entre 1822 et 1829 pour dégager le Château d’une
succession d’enclos disparates, avait été réalisé par la mère d’Herman probablement
conseillée par le jardinier écossais Thomas Blaikie qui oeuvrait alors pour le jardin
de son Château de Ferfay (Pas-de-Calais). A cette création initiale poursuivie par
Herman, où les jeunes plants d’arbres et les banquettes de fleurs constituaient un
véritable « pleasure ground » aux pieds de la maison, vint s’ajouter le parc paysager
qui comprend le grand parc clos de 75 hectares, bordé au sud par le "bas" parc, d’une
contenance de 50 hectares, qui s’étend dans la vallée de la Maye en lisière de la
forêt de Crécy. Malgré l’absence d’archives concernant la création du parc, il y a
de fortes présomptions au sujet du paysagiste Louis-Sulpice Varé, connu entre autre
pour son intervention à Bagatelle en 1853. La mémoire familiale en garde le souvenir
en temps que créateur et ami probable du commanditaire car Varé vient se réfugier
à Regnière-Ecluse pendant la Commune, sans doute prétexte à une ultime intervention
au niveau des plantations.
L’aménagement du parc donna lieu à de grands mouvements de terre et à la création
de nombreux et épais bosquets plantés de hêtres et de chênes, principalement entre
1834 et 1845. Quatre percées sont ainsi créées vers le nord-est dans le grand parc
et quatre autres au sud-est dans le bas parc, ouvrant des perspectives quasi infinies
qui établissent une relation avec la nature environnante. A partir de 1842, les terrassements
dans le bas parc permettent de dégager les ruines de l’ancien Château féodal qui au
Moyen Age surveillait l’accès de la rivière au milieu des marais.
Le comte d’Hinnisdal rachète, en 1842 et 1843, toutes les propriétés de la partie
du village située de ce côté et les fait araser pour implanter aussitôt les bosquets
qui cadrent les percées et un saut-de-loup permettant d’encaisser la route de Rue
à Crécy traversant le parc, de sorte que plus rien ne peut retenir la vue. Les lignes
courbes et harmonieuses d’une grande simplicité apparente du parc contrastent avec
la partie sylvicole (près de 400 ha de bois) traitée de façon régulière avec des avenues
droites qui partent de plusieurs ronds-points en étoile. En 1852, on dénombre déjà
16 000 mètres d’allées dans les bois dont on défriche une vaste parcelle au nord pour
l’implantation d’une ferme modèle (le Franc-Picard). Enfin, l’emploi exclusif des
essences locales avec de légères ponctuations de résineux (épicéas communs et petits
groupes de pins sylvestres en lisière de bois ou pour marquer des points de rupture),
l’ouverture de clairières où subsistent quelques arbres remarquables et isolés, les
lisières soigneusement travaillées et l’absence de toute fabrique qui serait ici en
surcharge... tout semble témoigner du style épuré du paysagiste Varé.
Il faut noter encore la création en parallèle sur le plateau à l’ouest du village
de deux parcs de 35 et 45 hectares obtenus par le défrichement de deux bois dont on
a préservé quelques arbres ainsi que les contours pour former une réserve de chasse
sur le modèle des parcs de la Renaissance. Le plus grand d’entre eux se nomme le parc
de Soyecourt en référence à l’un des anciens propriétaires de Regnière-Ecluse, Charles-Maximilien-Antoine
de Belleforière, marquis de Soyecourt, nommé grand veneur de France en 1669.
Dans cette vision de grandeur, Herman d’Hinnisdal ne s’arrête pas en si bon chemin
et poursuit les travaux d’embellissement et d’agrandissement de son Château, interrompus
pendant un temps suite au décès tragique de sa jeune épouse en 1846, victime de la
maladie à l’âge de 27 ans. L’année suivante, il fait tout d’abord construire un pavillon
d’escalier qui fait la jonction entre les anciens corps de bâtiment et les constructions
à venir. Les plans sont alors confiés à l’architecte de la ville d’Amiens, Jean Herbault,
engagé en 1845, qui amène dans sa suite deux talentueux ornemanistes amiénois, les
frères Aimé et Louis Duthoit. Ces deux sculpteurs et décorateurs hors paire réalisent
pendant dix-huit années un décor ornemental intérieur et extérieur, tant sur pierre
et sur bois qu’en « carton-pierre » (plâtre), livrant ainsi une gamme complète de
leur savoir-faire.
Le premier élément exécuté par les frères Duthoit en 1846 est un cartouche en relief
aux armes de Picardie, destinée à la nouvelle bibliothèque dont le plafond à caissons
est couvert de différentes armoiries peintes d’après les précisions fournies par M.
Goze, directeur départemental des Monuments Historiques. Mais la première pièce magistrale
que les Duthoit expédient de leurs ateliers d’Amiens en 1849 est le grand escalier
Renaissance qui arrive dans des caisses par le chemin de fer. En même temps, ils réalisent
le décor de la chambre privée du comte d’Hinnisdal, située dans le comble du pavillon
de l’escalier dont ils achèvent aussi la décoration intérieure et extérieure, tandis
qu’un parterre français est aménagé en 1851 dans l’axe du pavillon d’après les plans
de François Philippe, directeur du jardin des plantes de Versailles.
La phase la plus importante du gros oeuvre a lieu ensuite entre 1851 et 1853, période
durant laquelle sortent de terre les élévations de l’aile centrale et de l’aile nord,
achevant le plan en U sur l’ancienne basse-cour transformée en cour d’honneur, ainsi
que les bâtiments adjoints à usage de communs. Il faudra près de dix ans pour compléter
ces constructions d’une série d’ouvrages réalisés par les ateliers Duthoit, tels les
nombreuses lucarnes inspirées de l’hôtel de Cluny à Paris, les cheminées aux modèles
variés, les crêtes en plomb des toitures, le passage voûté encadré par des têtes de
chevaux qui signalent les écuries, les portes en chêne garnis de panneaux sculptés
évoquant la chasse et l’héraldique, le bow-window central avec balcon gothique surmonté
d’un bas-relief en pierre présentant une scène de chasse au faucon, etc.
Jusqu’en 1863, date de la fin des travaux, s’opère également la décoration des salons
et des chambres du premier étage, ainsi que de la chapelle installée dans un pavillon
en sailli situé dans l’axe de l’aile nord et flanqué de deux tourelles. Les murs du
grand salon devaient initialement être couverts de boiseries de style Louis XV mais
le projet ne fut jamais terminé en dehors de la corniche et de la rose centrale du
plafond aujourd’hui disparues. Cette pièce, qui servit jusqu’en 1832 de salle de ventes
pour l’adjudication des coupes annuelles puis provisoirement de cuisine, fut agrandie
en 1844 d’un bow-window donnant sur le parc. Dans le patio précédant le salon, un
grand meuble Renaissance avec glace et console, oeuvre des Duthoit, prenait autrefois
appui sur le mur. Quant à la salle à manger, située de l’autre coté du vestibule de
l’escalier dans l’aile centrale, elle présente un décor de boiseries avec cheminée
en marbre et consoles surmontées de glaces dans le goût du siècle de Louis XIV. A
la naissance du plafond à caissons décoré de peintures courre une large corniche alternée
de guirlandes à fleurs et de grands modillons ornés de mascarons.
Au même moment, les Duthoit livrent les portes sculptées de médaillons et de rinceaux
dans le style de la Renaissance qui séparent le vestibule de la salle à manger et
de la salle de billard (ancienne salle à manger dans l’aile sud). Au niveau supérieur,
une suite de quatre chambres avec commodités est desservie par un couloir traversant
toute l’aile centrale du côté de la cour d’honneur. La principale chambre au centre
du bâtiment, dite "chambre des tapisseries", est à peu près dans l’axe de la grande
perspective du parc paysager et a reçu un décor et des boiseries dans le style Pompadour
réalisées par les Duthoit en 1859. Cette chambre fut agencée suite au remariage en
décembre 1857 du comte d’Hinnisdal avec Victorine de Choiseul d’Aillecourt, dont viendront
Mélanie et Eugène.
Enfin dans la chapelle, qui fait la terminaison des ailes nord et centrale, les boiseries
de l’autel, des portes et les lambris au mur flattent les deux artistes et rappellent
les stalles de la cathédrale d’Amiens. La porte principale est reprise sur le modèle
de celle du portail latéral de l’église Saint-Germain l’Ecossais à Amiens, les panneaux
internes étant inspirés de boiseries du XVIe siècle déposées au Musée de Picardie. Des projets de statues et de voûte en carène
avec charpente ouvragée et blochets terminés par des anges semblent n’avoir jamais
vu le jour, de même qu’un projet de vitrail historié prévu pour la grande baie n’a
pas été exécuté. Cette partie du Château fut terminée vers 1863, marquant l’achèvement
des travaux.
D’autres ouvrages précèdent et suivent encore ces aménagements intérieurs, comme la
construction des murs du potager et de la clôture du grand parc, les logements de
gardien aux deux grilles d’entrées principales, sans ignorer les autres nombreuses
finitions apportées au parc grâce aux acquisitions successives de parcelles complémentaires
et à plusieurs déviations de chemins. La dernière innovation en date semble être la
pose de la claire-voie le long du fossé en bordure de route dans le bas-parc, livrée
pour le 15 juin 1876 par le serrurier mécanicien Warendeuf, de Rue.
Après la mort d’Herman d’Hinnisdal en août 1877, le Château fut passagèrement habité
par sa descendance jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Occupés alors par
l’armée anglaise, les lieux se trouvèrent à l’abandon de 1918 à 1939 avant d’être
transformés en hôpital par les Allemands pendant la Deuxième Guerre mondiale. Après
ce conflit, le domaine est de nouveau délaissé puis utilisé pour des colonies de vacances,
avant d’être repris par la famille Nicolay en 1961. Depuis ce temps, une restauration
méticuleuse est engagée, tout en poursuivant l’oeuvre dans la continuité de l’histoire.
Par exemple, la remise en état des allées de la partie sylvicole portées à une largeur
de 12 mètres, puis la réalisation d’un étang de 5 hectares dans le bas parc, participent
à la conservation et à l’aboutissement du projet du créateur.
Par arrêté du 29 juillet 1976, les façades, les toitures et le parc paysager mitoyen
du Château ont été inscrits à l’Inscrit au titre des Monuments Historiques (parcelles
B 1, 2, 5, 7 à 32, 34 à 36). Une nouvelle instruction pour l’extension de la protection
au bas parc est en cours depuis 1997 (section comprise entre la route et la forêt
de Crécy).
L’ensemble exceptionnel et bien préservé mérite que l’on s’y intéresse davantage en raison de son ampleur, son homogénéité et sa finition rares. Aujourd’hui, une réflexion en concertation avec la DRAC s’engage sur la nécessité d’assurer la protection de l’ensemble du domaine paysager et sylvicole, afin de préserver à l’avenir l’intégralité de l’oeuvre de création d’Herman d’Hinnisdal.
Superficie : 125ha
Protection : classé au titre des Monuments Historiques
Ouverture au public : uniquement sur rendez-vous
Visite libre : oui
Type de jardin : Jardin à l'anglaise
Statut du jardin : privé
Accueil du public : ouvert au public
Classification : Classé au titre des Monuments Historiques